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Présentation vidéo de mon livre « Le travail social face à l’incertain »

Sociologie et Anthropologie Travail social

03 Avr 2020

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Couverture et 4e de couverture du livre "Le travail social face à l'incertain"

Présentation vidéo de mon livre « Le travail social face à l’incertain. La prévention spécialisée en quête de sens »

Durée : 13 minutes. Date : mars 2020

Extraits musicaux : S Society (Youtube – Beatstars – Facebook)

Consulter les informations sur le livre.

 

 

Version écrite :

Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans ce 12e épisode des Sons Rouges et Noirs, épisode un peu spécial puisque l’enregistrement du podcast audio est doublé d’un enregistrement vidéo.

Vous pouvez retrouver la version écrite ainsi que (…) les liens vers les pages du beatmaker S Society (Youtube – Beatstars – Facebook) qui m’a généreusement autorisé à utiliser l’une de ses instru pour le générique du podcast.

Alors comme pour beaucoup de monde, l’arrivée en France du coronavirus et les mesures de confinement ont provoqué l’annulation de différents événements auxquels j’étais invité pour présenter mon premier bouquin, que j’ai publié en novembre dernier. Du coup, dans un éclair de génie, je me suis dit dit : pourquoi ne pas le présenter en podcast aux personnes qui étaient susceptibles d’être intéressées ?

Ce livre s’intitule « Le travail social face à l’incertain. La prévention spécialisée en quête de sens », il est publié aux éditions L’Harmattan, dans la collection Educateurs et prévention, dirigée par l’ethnologue Pascal Le Rest, que je remercie au passage pour sa confiance et son soutien.

Dans ce livre je pars de mes recherches en sociologie et en anthropologie sur la prévention spécialisée ainsi que de mon expérience d’éducateur de rue et militant en Île de France, et je restitue le sens du métier d’éducateur ou d’éducatrice en prévention spécialisée, tel qu’il transparaît dans les propos des premières personnes concernées : les professionnel.les.

La prévention spécialisée pour moi il y a différentes façons de la voir, de l’interpréter, de la pratiquer, c’est pourquoi, peut-être, dois-je commencer par expliquer ma rencontre avec ce métier et la vision que je m’en suis construite, avant de présenter le contenu de mon bouquin.

Ma rencontre avec la prévention spécialisée remonte à une dizaine d’années, alors que je terminais mes études de sociologie et anthropologie, et que j’étudiais le rapport entretenu par des travailleuses et travailleurs sociaux avec les habitants et habitantes de quartiers populaires d’une agglomération de province. Parmi les multiples professionnel.les que j’avais rencontré.es, en CCAS, dans des centres sociaux, des Maisons de l’Emploi, des Missions Locales, etc., j’ai eu l’occasion d’échanger avec les salariés d’un club de prévention spécialisée, dont l’approche m’a rapidement fasciné. Elle m’a fasciné parce qu’elle semblait plus directement au service des intérêts des habitants des quartiers populaires, et plus marquée par un nécessaire esprit critique à l’égard de l’environnement institutionnel et politique. C’est à partir de cette époque que j’ai souhaité concentrer mes recherches sur la prévention spécialisée.

Ce métier peut selon moi se définir comme une démarche socioéducative menée par de petites équipes d’éducateurs ou d’éducatrices implantées sur des territoires circonscrits, et consistant à aller à la rencontre d’habitants et habitantes, et notamment des adolescents et jeunes adultes, avec pour moyen et pour finalité de travailler avec ces personnes leur autonomie individuelle et collective. Le but, selon moi, pour les éducateurs et éducatrices en prévention spécialisée, est de faire comprendre aux personnes rencontrées qu’elles peuvent se construire leur propre place dans la société, en se servant de leurs ressources et de leur autonomie, individuelles et collectives, pour trouver des compromis avec différentes contraintes ou contingences provenant de l’environnement institutionnel, et du système économique.

J’ai déjà esquissé l’historique du secteur dans différents écrits ainsi que dans le premier chapitre de mon ouvrage, et d’autres avant moi comme Françoise Tétard et Vincent Peyre, ont publié des travaux devenus classiques sur l’histoire de la prévention spécialisée, auxquels vous pouvez vous reporter si cela vous intéresse. Pour aborder cet aspect en deux mots cependant, il faut observer que la prévention spécialisée a suivi le même processus d’institutionnalisation que de nombreux autres secteurs sociaux : après avoir émergé comme une initiative militante, enracinée dans des revendications provenant de la société civile, la prévention spécialisée a petit à petit, à partir de la fin des années 1950, été incorporée dans les politiques sociales de l’appareil d’État, et la démarche militante est devenue une démarche professionnelle réglementée.

Là où les choses commencent à piquer, c’est que, en tant que secteur désormais incorporé aux politiques publiques, la prévention spécialisée est soumise aux aléas politiques et aux directives – parfois  contradictoires – qui sont prises aux différents échelons de l’appareil d’État, depuis les ministères jusqu’aux préfectures en passant par les départements et autres organes institutionnels qui peuvent intervenir dans les larges thématiques sur lesquelles travaillent les équipes de prévention spécialisée.

Et comme la plupart des autres secteurs sociaux, la prévention spécialisée est, par conséquent, ravagée depuis plusieurs années par les politiques de libéralisation du système économique et par l’instrumentalisation du social au service de la sécurité et de la gestion de la population. Lorsque j’étais éducateur en prévention spécialisée, j’ai vécu ces phénomènes de l’intérieur. À mon boulot, dans mes recherches, et à travers mes échanges avec des collègues d’horizons variés, je me suis aperçu que ces remises en cause du social étaient des phénomènes généraux et très liés entre eux. Je me suis aperçu que les réformes et les nouvelles normes imposées dans le social de façon non-démocratique par l’appareil d’État poussaient nos secteurs professionnels à devenir un système industrialisé où les professionnel.les de terrain doivent travailler à la chaîne, en flux tendu, sans aucune possibilité de contester les directives émanant des échelons politiques ou institutionnels.

À partir de mes réflexions, engagements et expériences de terrain, je me suis construit une clef de lecture générale selon laquelle le travail social est, tout comme l’hôpital depuis quelques années auparavant, en voie d’industrialisation. J’ai publié un premier article sur ce thème mais je vais prochainement en publier une version actualisée, raison pour laquelle je vous invite à rester à l’affût de mes activités en suivant mon site ou ma page « Facebook ». Quoiqu’il en soit, ce concept d’industrialisation du travail social, je l’ai vécu, éprouvé, tout au long de ces dernières années durant lesquelles j’ai travaillé comme éducateur en prévention spécialisée puis dans l’insertion par le logement.

J’ai observé des phénomènes de marchandisation et d’instrumentalisation de la prévention spécialisée, à travers les coupes budgétaires et les injonctions sécuritaires qui témoignent d’une quête de la rentabilité. Dans l’association de prévention spécialisée où je travaillais, un dispositif d’accès au permis de conduire a été supprimé, ainsi qu’un service d’aide aux devoirs co-animée par des habitants du quartier, et différents financements pour des chantiers éducatifs.

J’ai observé une déqualification des professionnels, embauchés, dans l’association où je travaillais, sans diplôme du social, sans expérience éducative, et généralement sans connaissance de la prévention spécialisée et sans la formation professionnelle nécessaire par la suite. J’ai observé également un formatage des pratiques à travers une « démarche qualité » imposée de façon antidémocratique par le « manager », qui exigeait au nom d’une meilleure coordination qu’on lui fournisse nos plannings détaillés et les statistiques de nos activités, mais qui, bizarrement, a toujours dispensé de ces obligations toute l’équipe de direction. La tension déjà forte est montée d’un cran lorsque le même manager a décidé de nous faire compléter des fiches nominatives concernant les personnes accompagnées rassemblant une certaine quantité d’informations personnelles, ce qui était parfaitement contraire aux dispositions de base du secret professionnel auquel sont tenus les travailleurs et travailleuses de la protection de l’enfance… à moins d’informer les personnes qu’on faisait des fiches sur elles que nous transmettions à notre direction et dont nous ignorions l’usage qui était fait : autant dire qu’avec le public de la prévention spécialisée cela non seulement n’est pas possible mais surtout, n’est pas sensé.

Lorsque, avec plusieurs collègues, nous avons voulu remettre en question l’aberration de cette « démarche qualité » et des outils de contrôle qui nous étaient imposés, j’ai observé à quel point nous étions prolétarisés, c’est-à-dire réduits à l’état de prolétaires, tout juste bons à exécuter les ordres et toucher un salaire à peine supérieur au SMIC à la fin du mois. Des  conflits du travail sont apparus, ainsi que des techniques managériales de division, c’est-à-dire qu’avec mes collègues revendicatifs nous avons été pointés du doigt comme des boucs-émissaires responsables des tensions et des difficultés de l’association. Pour moi et pour plusieurs collègues, le quotidien au boulot a petit à petit perdu de son sens, jusqu’au jour où le manager nous a dit que les nouvelles méthodes de travail qu’il imposait de façon autoritaire étaient, je cite mot pour mot, sa « vision du travail d’éducateur » et que si nous n’étions « pas contents« , nous n’avions qu’à « changer de métier« . Nous avons effectivement été plusieurs à démissionner en quelques mois.

Pour autant, je n’en suis pas resté là avec la prévention spécialisée. En échangeant avec des collègues, en militant avec des camarades, en m’informant et en réfléchissant, j’ai réalisé que nous étions nombreux et nombreuses dans le social à être confrontés à ce genre d’incertitude au boulot, et je me suis aperçu que le sentiment de solitude face aux difficultés venait en grande partie du fait que la parole, les revendications des travailleuses et travailleurs de terrain étaient peu relayées, et souvent même occultées par les hiérarchies institutionnelles et les managers, par les décideurs politiques et leurs experts, parfois aussi par des formateurs, des consultants ou des journalistes, qui, par souci de neutralité, ne se rendent pas compte qu’ils ne font que relayer la vision technocratique dominante de la prévention spécialisée et du travail social.

J’ai alors décidé de reprendre mes recherches sociologiques et anthropologiques sur la prévention spécialisée, de les réécrire et de les remettre en forme pour qu’elles puissent servir à redonner la parole aux acteurs et actrices de terrain et aux collègues que j’avais rencontrés, pour contribuer un peu à porter leurs visions et leurs revendications dans le débat public. Mon livre n’est donc pas écrit le couteau entre les dents, ce n’est pas un livre militant, c’est avant tout le fruit d’expériences et d’observations de terrain, d’entretiens avec des collègues, de participations à des séquences de travail, le tout dans une temporalité relativement étendue. Mon but était avant tout de relayer les discours du « terrain ».

Ce que ces recherches m’ont permis de mettre en lumière, c’est tout d’abord le fort engagement subjectif des éducateurs et des éducatrices dans leur travail. La plupart des métiers, a fortiori dans le social, nécessitent un engagement subjectif, cependant, la spécificité du travail socioéducatif tel que je l’ai observé en prévention spécialisée c’est que les professionnel.les se conçoivent avant tout comme des sujets humains, des personnes. Des personnes qui, dans le cadre de leur activité professionnelle, doivent incarner, jouer un rôle, mais des personnes avant tout. De ce fait, comme dans le travail de comédien, chacune de ces personnes a sa façon d’incarner son rôle professionnel, chacune a sa façon de composer avec les contraintes propres à son rôle, et de trouver des compromis créatifs. Ainsi, chacune de ces personnes exerçant un travail socioéducatif revendique des catégories et de modes de pensée, pour ne pas dire des valeurs. Au-delà de la diversité de ces valeurs professionnelles et des jeux d’acteurs et d’actrices, toutes ces personnes ont une revendication en commun, à savoir que pour travailler sur et pour l’autonomie des gens, il est nécessaire que les professionnel.les bénéficient eux-mêmes et elles-mêmes d’une grande marge d’autonomie, pour pouvoir s’adapter aux personnes accompagnées, pour pouvoir même se donner en exemple. Les procédures, ou les « scripts » comme diraient les comédiens, ne suffisent pas à incarner un rôle, apprendre son texte par cœur ne signifie pas qu’on va correctement jouer son rôle. Il faut pouvoir sentir l’autre et s’y adapter, improviser, pouvoir faire preuve de créativité, avoir la possibilité d’y mettre de soi-même.

On comprend ici comment des logiques d’industrialisation vont à l’encontre des logiques du travail socioéducatif, qui prend plutôt comme référence la démarche artisanale. Le travail socioéducatif a cette possibilité d’être un mode de production artisanal de savoir sur soi et sur l’environnement, améliorant l’autonomie individuelle et collective. Ce style de travail socioéducatif est à contre-courant du climat actuel de libéralisation de l’économie, qui se fonde sur la concurrence, la course à la performance, à la rentabilité, à la normalisation, à la gestionnarisation. Ce style de travail socioéducatif en défendant l’autonomie des gens, peut offrir des possibilités d’émancipation et de résistance, à condition d’être lui-même défendu, ce à quoi  j’espère avoir contribué à travers ce bouquin, et à travers mes activités en général.


J’espère que cette petite présentation vous aura inspirés, si vous souhaitez davantage d’informations sur le bouquin ou sur mes travaux vous pouvez aller sur (cette page), j’ai mis l’introduction du livre ainsi que toutes les info nécessaires, et peut-être trouverez-vous d’autres publications sur la prévention spécialisée et le travail social qui vous intéresseront. Je vous remercie infiniement pour l’intérêt que vous portez à mes activités et si vous avez apprécié ce podcast soyez certains que vous en retrouverez d’autres très prochainement. Prenez bien soin de vous, et à bientôt !

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