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L’activité de chercheur-praticien en travail social et sciences sociales

Sociologie et Anthropologie Travail social

09 Juin 2020

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Capture d'écran de la vidéo

Retour sur mon parcours, la construction de ma posture et de mon activité, avec une proposition de discussion théorique autour de la notion de « chercheur-praticien ».

Durée : 12 minutes. Date : juin 2020

Résumé :

Comme je compte sortir régulièrement des vidéos sur le travail social, les sciences sociales et les militantismes qui les traversent, j’ai pensé qu’il serait intéressant de commencer par présenter un peu mon activité et ma posture, qui sont celles d’un « chercheur-praticien »… Après avoir présenté mon activité, qui n’est pas tout à fait celle d’un travailleur social, ni d’un chercheur-formateur, ni d’un militant d’éducation populaire (mais un peu de tout ça et un peu plus), je propose une petite réflexion sur les rapports entre « théorie » et « pratique », qui sont questionnés par cette posture…

Extraits musicaux : S Society (YoutubeFacebookBeatstars)

Version écrite

Cher.e.s collègues bonjour et merci pour l’intérêt que vous portez à cette vidéo de présentation de l’activité de chercheur-praticien en travail social et sciences sociales.

Cette activité dont j’aimerais vous parler, j’aspire à en faire quelque chose comme mon métier, après une longue période durant laquelle j’ai combiné un travail de recherche indépendante – pour ne pas dire bénévole – et des postes de travailleur social et formateur. Cette vidéo comportera donc une première partie qu’on peut dire « promotionnelle » visant à présenter ce que je propose à travers cette activité, car elle est la manière dont je cherche à gagner ma vie ; et je vous présenterai dans une seconde partie une réflexion un peu plus théorique sur la posture de chercheur-praticien, et notamment ce qu’elle implique en termes de production de sens, et de rapports entre théorie et pratique. Accessoirement cette vidéo servira également à « inaugurer » ma modeste chaîne Youtube, à travers laquelle j’espère vous faire part de mes activités (…)

En deux mots, pour résumer, ces activités de chercheur-praticien en travail social et sciences sociales consistent en des travaux de recherche-action, d’intervention et de formation, dans une logique d’éducation populaire à visée démocratique. La particularité de cette activité est donc qu’elle s’inspire non seulement des savoirs théoriques que j’ai acquis à travers ma formation et ma carrière indépendante de sociologue et anthropologue, mais elle s’inspire également des expériences plus sensibles et pratiques que j’ai vécues à travers mes activités professionnelles de travailleur social, de militant et de formateur de travailleur.euse.s sociaux. Ce que je vous propose donc dans un premier temps, c’est que je vous expose en quoi consiste concrètement le travail de chercheur-praticien en travail social et sciences sociales tel que je le mets en œuvre, avant d’analyser, dans un second temps, les implications un peu plus théoriques de cette posture.

L’activité de chercheur-praticien en travail social et sciences sociales

(…) Comme je l’aborderai plus en détail dans la seconde partie, l’expression « chercheur-praticien » est une sorte de renversement de celle, plus courante, de « praticien-chercheur », qui désigne généralement des praticiens d’un secteur particulier qui font la démarche de se former à la recherche. En ce qui me concerne, j’ai fait l’inverse : c’est-à-dire que ma posture est déterminée par le cursus universitaire en sociologie et anthropologie que j’ai suivi dans une région qui à l’époque s’appelait encore le Nord-Pas-de-Calais. En même temps que ce parcours de recherche en sciences sociales, j’ai commencé à travailler comme animateur auprès de personnes en situation de handicap mental, et comme tuteur et formateur d’étudiant.e.s en sciences sociales et en travail social.

Certaines opportunités et certaines contraintes m’ont amené à m’éloigner de la recherche universitaire puisque, entamant une première grande transition, je suis devenu éducateur de rue en Seine St Denis en 2014. C’est en Île de France également que j’ai commencé à militer pour défendre les principes de démocratie réelle auxquels je tiens beaucoup, d’abord dans un syndicat professionnel, et surtout à Nuit Debout. Parallèlement à mon métier d’éducateur de rue, j’ai continué à mon rythme et non sans difficultés, à faire de la formation, et surtout, à publier des travaux de recherche indépendants, sur le travail social et les sciences sociales.

Après une dernière grande phase de transition, qui s’est traduite par mon déménagement en Bretagne après quelques mois passés à l’étranger, j’ai occupé plusieurs postes de travailleur social en CDD, dans l’insertion par le logement, jusque fin février 2020.

En m’appuyant sur ces différentes expériences et implications dans différents champs, je construis donc désormais une activité professionnelle de chercheur-praticien, en proposant principalement deux types de prestations que je vais vous présenter. Avant toute chose j’apporterai simplement deux petites précisions. D’abord, pour mener cette activité, je ne suis pas auto-entrepreneur, je suis salarié d’une coopérative d’activité au sein de laquelle je développe une activité indépendante, un peu sur le principe du portage salarial, mais avec un engagement plus proche des principes démocratiques de l’économie sociale et solidaire. La seconde précision c’est donc que, même si j’espère gagner ma vie grâce à elles, ces prestations s’inscrivent en cohérence avec les principes d’une éducation populaire à visée démocratique, c’est-à-dire qu’elles visent avant tout à co-produire du savoir au service des collectifs œuvrant d’une manière ou d’une autre au progrès social, à la solidarité et à l’autonomie de chacun.e.

Le premier type de prestation que je propose ce sont des interventions. Elles se construisent, selon la logique de la recherche-action, en écho aux besoins d’équipes de terrain et des dynamiques locales. Elles s’appuient sur les méthodologies de la sociologie et de l’anthropologie, ainsi que sur mes expériences de travailleur social. Il peut s’agir de diagnostics territoriaux, d’études auprès de personnes accompagnées ou de partenaires, d’accompagnement à l’analyse des pratiques professionnelles, d’accompagnement à l’évaluation interne… Plus concrètement, j’ai par exemple rédigé un rapport d’évaluation qualitative sur les « plus-value » du Plan Local d’Insertion par l’Economique, pour la Maison de l’Emploi de Roubaix en 2013. J’ai mené une étude sur le regard porté par les travailleuses et travailleurs sociaux d’une agglomération sur les quartiers populaires, qui a été publiée par la revue Urbanités en 2015 (…). J’ai également mené une recherche-action sur le sens du métier d’éducateur ou éducatrice en prévention spécialisée à partir d’analyses de discours et d’observations participantes, que j’ai publié sous forme d’ouvrage chez L’Harmattan en novembre 2019.

Le second type de prestations que je propose ce sont les formations. Elles sont modelées par une approche en termes d’éducation populaire, visant à co-produire une connaissance qui parte des intérêts des personnes engagées dans la formation. Ces formations ne sont donc pas nécessairement des « cours magistraux » sauf s’il y en besoin. Elles peuvent être individuelles ou collectives, telles que des accompagnements à l’écriture de documents ou dossiers professionnels, des formations sur des thèmes spécifiques, ou plus générales autour du travail social et des sciences sociales, leur histoire, thématiques ou méthodologies… Ainsi, je mène depuis 2013, des accompagnements individuels et des animations de cours et travaux dirigés dans des centres de formation de travailleuses et travailleurs sociaux. J’ai également réalisé des présentations orales sur la sociologie du travail social ou sur la prévention spécialisée, à la demande de collectifs de professionnel.le.s. Plus récemment, j’ai eu le plaisir de donner une conférence-débat autour de mes travaux de recherches, à l’invitation de l’association AFERTES, à Arras, dans le département du Pas-de-Calais.

Ces différentes recherches et formations, j’ai donc déjà eu l’occasion de les mettre en œuvre, de façon souvent militante et bénévole, donc nécessairement perfectible, puisque je n’ai jamais été chercheur professionnel, consultant ou formateur à plein temps, j’ai toujours tenu à ne pas me spécialiser uniquement sur un poste, encore moins comme travailleur purement intellectuel. Mon activité de chercheur-praticien est donc en partie en construction, en tension entre mes expériences théoriques et mes expériences de terrain. Souhaitant conserver cette dynamique interne, c’est une posture en évolution constante, à travers la co-construction avec les demandes de collectifs de terrain. C’est ce que je vais maintenant expliciter de manière un peu plus théorique.

Une identité professionnelle dynamique

Comme je l’ai déjà signalé, j’ai construit l’expression « chercheur-praticien » en écho à celle, plus courante, de « praticien-chercheur », car celle-ci désigne une posture à laquelle je ne correspondais pas tout à fait. Par exemple, Catherine De Lavergne en donne la définition synthétique suivante :

Le « praticien-chercheur » est un professionnel et un chercheur qui mène sa recherche sur son terrain professionnel, ou sur un terrain proche, dans un monde professionnel présentant des similitudes ou des liens avec son environnement ou son domaine d’activité

C. De Lavergne

À première vue, la posture de praticien-chercheur pourrait correspondre à la mienne, pourtant en creusant un peu, on remarque rapidement que cette expression désigne plutôt des professionnels de terrain qui se forment à une activité de recherche. C’est en ce sens que Pascale Jamoulle utilise cette expression dans le livre Passeurs de mondes. Praticiens-chercheurs dans les lieux d’exil (…), mais c’est aussi et surtout dans ce sens que cette expression est utilisée par différents spécialistes de la formation professionnelle, tels que, notamment Hervé Drouard, qui a beaucoup participé à la diffusion de l’expression « praticien-chercheur » dans le social. Dans un article de 2006, celui-ci observait ainsi qu’a priori :

Un chercheur sur une profession ne peut être un praticien de cette profession (…) Autant il est pensable de passer du statut de praticien à celui de chercheur, après longue probation, abjuration, rupture épistémologique. Autant il semble peu admissible qu’un chercheur puisse « rétrograder » au statut de praticien

H. Drouard

Il semble donc que je sois la contradiction vivante à ce point de vue répandu que mentionne Hervé Drouard, puisque j’ai d’abord fait des recherches universitaires puis indépendantes sur les pratiques professionnelles et le sens de l’activité de travailleur.euse social.e, avant de devenir moi-même travailleur social. Je ne suis pas sûr d’être le seul à avoir eu ce parcours, en revanche, je suis d’accord, on ne doit pas être très nombreux.euses. Ainsi, si je ne peux pas me dire « praticien-chercheur », il faut tout de même admettre que la posture de « chercheur-praticien » présente un certain nombre de traits communs, sur lesquels j’aimerais maintenant revenir.

Tout d’abord, il y a une certaine « sensibilité » au terrain, comme dit Catherine De Lavergne, ou, plus précisément, une « expérience sensible » spécifique, comme l’écrivait mon ancien professeur Bernard Eme, qui faisait remarquer dans un article de 2011, que le fait de se poster en marge d’un champ social ou professionnel donne un autre regard, un peu « oblique », sur ce champ : ce qui signifie à mon sens que tout comme les praticiens-chercheurs, le fait de se situer temporairement en marge de la recherche et à la fois en marge de la pure pratique de terrain donne au chercheur-praticien une expérience et un regard un peu décalés et originaux.

Ainsi, l’autre grand point commun entre praticien-chercheur et chercheur-praticien c’est une attention spécifique accordée à ce que Françoise Clerc et Serge Tomamichel appellent dans un article de 2004 la « valeur d’usage » du savoir produit, c’est-à-dire son utilité sociale et pratique. Praticiens-chercheurs et chercheurs-praticiens ont en commun de ne pas chercher à produire des connaissances pour produire des connaissances, mais à produire des connaissances qui soient utiles aux pratiques de terrain et leur fassent écho, et en ce qui me concerne, toujours dans une optique de servir aux progrès sociaux et démocratiques. C’est là qu’on peut voir la différence entre le savoir scientifique que peuvent produire des chercheurs qui s’immergent sur un terrain ou qui font de la recherche sur un univers social auquel ils appartiennent, et le savoir « praxéologique » comme dirait Hervé Drouard, qui est un savoir pour la pratique de terrain, et j’ajouterais : par la pratique de terrain.

Pour conclure, je dirais que si cette posture de chercheur-praticien a émergé à travers une forme de nomadisme géographique, professionnel et militant, que j’ai eu dans mon parcours, elle consiste désormais plutôt en une logique que j’ai appelé de transhumance : je ne suis pas mobile par plaisir d’être mobile, mais plutôt parce que je vise à me nourrir et transmettre là où j’estime qu’il y a des progrès à partager, tout en évitant de prendre racine dans une spécialisation trop poussée. En effet, n’ayant jamais souhaité être chercheur professionnel, cette posture et cette pratique de chercheur-praticien impliquent d’être constamment perfectionnées au contact de personnes et de collectifs intéressés : les principes d’éducation populaire à visée démocratique dans lesquels je m’inscris appellent à une co-production des savoirs, en acceptant les contingences pour mieux les surmonter.

Conclusion

Je terminerai donc cette vidéo à travers un appel aux personnes intéressées à tisser des alliances : vous pouvez me contacter (…), diffuser cette vidéo aux personnes qu’elle pourrait intéresser, rebondir sur l’approche qu’elle propose en me disant si elle vous parle ou pas, si vous pensez que des choses doivent être précisées. Je vous remercie donc à nouveau pour l’intérêt que vous portez à l’égard de mes activités, et j’adresse mes remerciements également aux personnes qui me suivent et m’ont fait confiance jusqu’ici, et notamment le beatmaker S Society qui m’a généreusement autorisé à utiliser l’une de ses créations musicales pour mon générique. Prenez bien soin de vous, et à très bientôt.

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