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Traitement du paupérisme : le problème c’est l’Etat, selon le jeune Marx

Philosophie Politique Travail social

21 Nov 2023

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Note de lecture de : 

Karl Marx, Gloses critiques en marge de l’article « Le roi de Prusse et la réforme sociale. Par un prussien », 1982 [1844], in Œuvres. III. Philosophie, Paris, Editions Gallimard, Coll. « Bibliothèque de la Pléiade », édition présentée et commentée par Maximilien Rubel, p.398-418.

Texte de Marx accessible sur marxists.org

Dans cet article de jeunesse, Marx, en réponse à un autre texte (« Le roi de Prusse et la réforme sociale. Par un prussien »), fait remarquer que l’État ne peut intervenir que de manière contradictoire, formelle, nécessairement impuissante, sur le paupérisme, par le biais de son « administration », étant donné qu’il n’intervient pas sur les causes fondamentales de celui-ci. Les causes du paupérisme et des « tares sociales » sont toujours cherchées par l’État hors de lui-même. Cependant, ce n’est pas telle ou telle forme d’État qui pose problème : c’est l’État lui-même, en tant que « totalité abstraite séparée de la vie réelle », et fondée sur l’opposition entre vie privée dominée par le commerce et la propriété, et vie publique fondée sur cet « esclavage » et sur ce « pillage réciproque des multiples sphères civiles ». L’État n’est que le reflet de « l’organisation sociale », l’intérêt général n’est que celui des « intérêts particuliers » les plus forts. Pour en finir, il faut plus qu’une révolution « dont l’âme est politique », car elle ne fera que conquérir le pouvoir d’Etat et organiser « une sphère dominante dans la société, aux dépens de la société ». Ce qu’il faut c’est une « révolution sociale », véritable « protestation contre la vie inhumaine » mais qui parte « de l’individu singulier, réel ».   Véritable « crédo anarchiste » comme dit Rubel p.1588

Partie I p.398-411 :

Qu’il s’agisse de la Prusse, de l’Angleterre (dont il parle longuement) ou de la France, « pour autant que les États se sont occupés du paupérisme, ils en sont restés aux mesures d’administration et de bienfaisance, et ils sont parfois descendus au-dessous de l’administration et de la bienfaisance. L’État peut-il procéder autrement ? » (souligné par Marx, p.407-408).

Là où il existe des partis politiques, chacun voit la cause de tout mal dans le fait que son adversaire est au gouvernement de l’État, et non pas lui. Même les politiciens radicaux et révolutionnaires cherchent la cause du mal non dans la nature de l’État, mais dans une forme spécifique de l’État qu’ils veulent remplacer par une autre forme d’État. Du point de vue politique, l’État et l’organisation sociale ne sont pas deux choses différentes. L’État, c’est l’organisation de la société. Pour autant que l’État admet l’existence de tares sociales, il en cherche la raison soit dans les lois naturelles, qui échappent à tout pouvoir humain, soit dans la vie privée, qui est indépendante de l’État, ou dans l’inefficacité de l’Administration, qui en dépend

souligné par Marx, p.408

Tous les États cherchent la cause de leurs maux dans les déficiences accidentelles ou intentionnelles de l’Administration, et donc le remède dans des mesures administratives. Pourquoi ? Parce que l’Administration est précisément l’activité organisatrice de l’État. A moins de se supprimer lui-même, l’État ne peut supprimer la contradiction entre le rôle et la bonne  volonté de l’Administration, d’une part, ses moyens et son pouvoir d’autre part. Il repose sur cette contradiction. Il est  fondé sur la contradiction entre la vie publique et la vie privée, entre les intérêts généraux et les intérêts particuliers. Par conséquent, l’Administration doit se borner à une activité formelle et négative, car son pouvoir s’arrête précisément là où commencent la vie civile et son travail. A la vérité, l’impuissance est la loi naturelle de l’Administration quand elle est placée devant les conséquences qui résultent de la nature antisociale de cette  vie civile, de cette propriété privée, de ce commerce, de cette industrie, de ce pillage réciproque des multiples sphères civiles. Car cet écartèlement, cette bassesse, cet esclavage de la société civile constituent le fondement naturel sur lequel repose l’État moderne, de même que la société civile de l’esclavage le fondement naturel de l’État antique. L’existence de l’État et l’existence de l’esclavage sont indissociables

souligné par Marx, p.408-409

Pour en finir avec l’impuissance de son Administration, l’État moderne devrait en finir avec la vie privée d’aujourd’hui. S’il voulait supprimer la vie privée, il lui faudrait se supprimer lui-même, car c’est uniquement par opposition à la vie privée que l’État moderne existe

p.409

L’État ne peut admettre l’impuissance congénitale de son Administration, c’est-à-dire sa propre impuissance. Il peut seulement en reconnaître les vices formels et accidentels, et s’efforcer d’y remédier. Ces réformes se révèlent-elles infructueuses ? Eh bien, c’est que la tare sociale est une imperfection naturelle, indépendante de l’homme, une loi divine, ou bien c’est que la volonté des particuliers est trop pervertie pour faire bon accueil aux bons projets de l’Administration. Et quels esprits vicieux, ces particuliers ! Ils grognent contre le gouvernement chaque fois qu’il limite la liberté, et ils exigent du gouvernement qu’il empêche les conséquences nécessaires de cette liberté !

souligné par Marx, p.409

Partie II. p.411-418

Il continue à répondre à propos du mouvement social et de sa construction, la foi dans le prolétariat et le « socialisme » ainsi que la conception de la « révolution » : sociale et politique.

Il est faux que la misère sociale engendre l’intelligence politique ; tout au contraire, c’est le bien-être social qui produit l’intelligence politique. L’intelligence politique est une spiritualiste, et elle est donnée à celui qui est déjà fortuné, à celui qui a déjà les pieds au chaud

souligné par Marx, p.415

La révolte naît de « l’isolement », mais de l’isolement des humains de leur propre nature : la « communauté ». « La nature humaine, voilà la véritable communauté des hommes (…) L’homme est plus immense que le citoyen, et la vie humaine est plus immense que la vie politique » (souligné par Marx, p.416).

Même si elle n’a lieu qu’en un seul district industriel, une révolution sociale se situe dans la perspective de l’ensemble, parce qu’elle est une protestation de l’homme contre la vie inhumaine, parce qu’elle part du point de perspective de l’individu singulier, réel, parce que la communauté dont l’individu refuse d’être séparé est la vraie communauté de l’homme, la nature humaine. En revanche, l’âme politique d’une révolution consiste dans la tendance des classes privées d’influence politique à briser leur éloignement de l’État et du pouvoir. Sa perspective, c’est celle de l’État, totalité abstraite qui existe uniquement par la séparation d’avec la vie réelle et qui est inconcevable sans l’opposition organisée entré l’idée générale et l’existence individuelle de l’homme. C’est pourquoi une révolution dont l’âme est politique organise, conformément à sa nature bornée et hybride, une sphère dominante dans la société, aux dépens de la société (…) Toute révolution dissout l’ancienne société ; en ce sens, elle est sociale. Toute révolution renverse l’ancien pouvoir ; en ce sens elle est politique

souligné par Marx, p.417

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