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Le travail social ou l’« art de l’ordinaire » (David Puaud)

Travail social

11 Oct 2023

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Note de lecture de :

David Puaud, 2012, Le travail social ou l’« art de l’ordinaire », Eds Fabert, Coll. Temps d’Arrêt / Lectures

Livret téléchargeable sur le site Yapaka

David Puaud a été éducateur spécialisé et moniteur-éducateur, il a travaillé notamment en prévention spécialisée. Il est désormais docteur en anthropologie, formateur à l’Institut Régional du Travail Social (IRTS) Poitou-Charentes, et a diverses responsabilités dans le monde de la recherche universitaire.

Ses thèmes de recherche ont longtemps été centrés sur les questions de prévention auprès des jeunes de quartiers populaires. C’est ainsi qu’il en est venu à travailler sur la construction de la criminalité, avec son livre Un monstre humain (2018) où il retrace le parcours et le procès d’un jeune qu’il a suivi, ou avec son dernier ouvrage Les surgissants (2022) où il analyse le parcours de jeunes condamnés pour « radicalisation ».

David Puaud, que j’ai rencontré lors d’une intervention à l’IRTS de Poitiers où il m’avait invité il y a quelques années, a également réfléchi aux pratiques en travail social, en co-dirigeant un n° du Journal des anthropologues sur les « marges sociales », mais aussi, en publiant deux livrets disponibles en PDF sur le site yapaka.be

Dans Le travail social ou l’«Art de l’ordinaire», David propose de conceptualiser le travail social comme un « art de l’ordinaire », c’est-à-dire une pratique fondée sur des dons, « micro-traces d’hospitalité », et des expériences partagées, au service du « bien-vivre ». Dans une forme synthétique et claire, il s’inspire de son expérience d’éducateur avec des jeunes pour exposer ces différentes notions. Bien qu’un peu idéaliste sur les bords à mon sens, une manière plutôt inspirante de penser le métier. Cette dimension « artistique » est prolongée dans le second livret que David a publié, et dont je rendrais compte à une autre occasion.

Le travail social : une activité ordinaire (p.5)

Il n’est pas évident de parler concrètement du travail social et de l’activité des « entraidants » (Kropotkine) car c’est un « art de l’ordinaire » difficile à formaliser, fait d’interactions nourries de « dons du rien », « incertains » (p.5-8). Pour ces raisons, « il devient nécessaire de réfléchir aux aspects informels de notre métier », à l’heure où le travail social est mis sous tension par le « management social » (p.8), et devient presque une activité à contre-courant, dévalorisé, alors même que le travail social professionnel est une activité anthropologique, qui répond à la crise du lien social. Il va proposer son « témoignage » (p.10-11).

Malaise chez les travailleurs sociaux (p.11)

Le malaise s’exprime diversement. Il est du aux logiques de marchandisation, qui impactent le travail, divisent les travailleurs entre eux, précarisent, soumettent, compliquent la gestion du temps, la relation à l’usager… : les concepts managériaux influencent notre manière de penser le travail (p.11-18).

Les mots ont un sens (p.19)

Il faut interroger le jargon professionnel, prendre conscience du pouvoir des mots.

Qu’est-ce qu’un éducateur ? (p.20-25)

Le métier se technicise (comme on le voit avec la réforme de 2007 et les domaines de compétences), alors qu’il est difficile de rendre compte des moments informels. Le stigmate de « personne en difficulté » déqualifie les personnes : « Les mots et expressions aseptisent les pratiques ordinaires des travailleurs sociaux », les dimensions relationnelles et non-verbales deviennent secondaires au profit de ces « néologismes » simplificateurs (p.24-25).

Les limites de la logique comportementaliste (p.25-30)

Il se diffuse des logiques cognitivistes et comportementalistes qui veulent traiter les symptômes avant tout, souvent en faisant abstraction du contexte des individus et en voulant appliquer une « morale universaliste ».

Le travail quotidien auprès des autres : l’ « art de l’ordinaire » (p.30-32)

L’art de l’ordinaire est flou, incertain, propre à chacun, il est un ensemble de « traces d’hospitalité » assimilables à des « dons du rien ».

Le social de l’ « art de l’ordinaire » : des micro-traces d’hospitalité (p.32-39)

L’art de l’ordinaire consiste d’abord en une « perception du sensible au quotidien » : les relations faites d’actes de communion verbale et non-verbale, et de leur interprétation, cette « matière instable, sableuse, indistincte ». C’est une science d’intuitions, une capacité à construire la relation de confiance, à entrer en « résonnance » avec les interlocuteurs ; il est « perceptions indicibles », dispositions acquises par « l’attention têtue à autrui » (p.33-38). C’est aussi un art de la rencontre (p.38-39), dans tout ce que cela peut avoir d’aléatoire, de pénible… Il n’y a pas de « bonne distance », ça dépend des expériences de chacun.

La notion de passeur (p.40)

Le travailleur social est un « passeur entre les mondes », un « stratège » qui sait jouer entre les « zones d’incertitude » (p.40). Il s’appuie sur la « différence » de l’autre pour « prendre en compte » la personne (non la « prendre en charge », p.41).

La prise en compte (p.42)

La relation d’aide est asymétrique, il peut y avoir violences institutionnelles (p.42-43). La relation de prise en compte, elle, implique une certaine réciprocité : les sujets se co-construisent, il « doit » y avoir une certaine libre-adhésion, accepter d’être affecté… (p.43-45).

L’ « art de l’ordinaire » comme outil de la politique du « bien-vivre » (p.46)

L’hospitalité peut avoir une dimension « politique », « subversive ». L’art de l’ordinaire prône le « bien vivre » (p.46-47).

La politique du « bien vivre » (p.47)

Originaire des Andes, cette conception « post-matérialiste » fonde sur la solidarité et la réciprocité prône un autre rapport à l’environnement, à autrui et à soi-même, au-delà de nos « société rationalistes et technicistes » et du « règne individualiste du sujet » : la société se fonde sur l’équilibre individuel et réciproquement (p.47-48). Des « formes embryonnaires » existent chez nous dans le social et dans l’économie sociale et solidaire, il faut les développer en les soutenant avec un « État fort » et une sphère publique importante (p.49).

Conclusion (p.51)

« Le vif » (p.51)

L’art de l’ordinaire comporte une « force subversive » qui atténue les effets de la « rationalisation économique » et de la « managérialisation du travail social », qui diffuse l’idée d’une « pluralité humaine » et d’une « politique du « Bien vivre » » (p.51). C’est parce qu’il repose sur le « Vif » de chacun : « élan vital », « impulsion de vie » aux manifestations diverses qu’on ne saisit consciemment qu’en se « décentrant »… (p.51-54).

L’empathie méthodologique (p.54)

La dimension émotionnelle et sensible est importante dans le travail social, il faut savoir la maîtriser pour développer une « empathie méthodologique » (p.54). Elle se manifeste par un ensemble d’éléments imperceptibles, « informels » (p.55-56). L’art de l’ordinaire est ainsi un « outil de contestation » qui ne doit pas être laissé aux idéalismes « mystiques » ou managériaux, il doit être revendiqué par les professionnels, qui, paradoxalement, ne savent pas communiquer à propos de leur travail, le valoriser en dehors de leurs cercles proches (p.57). C’est pourtant essentiel afin de préserver la « biodiversité » de nos gestes et talents, redéfinir notre « écologie globale aux autres » et faire société autrement (p.58).

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