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Actualités de la mondialisation industrielle…

Économie

05 Mar 2022

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Couverture du livret "l'industrie monde"

Note de lecture de :

François Bost, Dalila Messaoudi, « L’industrie-monde », Documentation photographique, n° 8140, 2e trim. 2021, 64 p., Paris, CNRS

Note de lecture diffusée sur le site Lectures

Le mode de production industriel serait-il en passe de devenir « désirable » (p. 2) ? C’est à l’aune de cette intuition que les auteurs du 8140e numéro de la revue Documentation photographique se proposent de faire un point sur les récentes évolutions du système industriel, entre désindustrialisations et « relocalisations », enjeux environnementaux et technologiques.

La revue Documentation photographique revendique une approche pédagogique de sujets ayant trait à l’histoire ou la géographie. L’idée est de combiner des textes synthétiques avec diverses illustrations (photographies, cartes, graphiques…), dans un format accessible et coloré, imprimé sur du papier glacé. Ce numéro sur « l’industrie-monde » sorti après plus d’un an de crise sanitaire constitue donc une initiation très actuelle aux grandes thématiques de la géographie industrielle, principalement à destination de publics étudiants et enseignants. Les auteurs du numéro, tous deux géographes, en appellent ainsi à une approche renouvelée de l’industrie, visant à tenir compte de l’interpénétration des différents types d’activités, et à dépasser leur distinction désuète en trois secteurs (secteur primaire : agriculture, forêt, pêche, mines… ; secteur secondaire : industrie ; secteur tertiaire : les services). Ainsi, l’industrie revêt certes des spécificités générales, selon François Bost et Dalila Messaoudi : machinisme, « standardisation des biens », travail taylorisé, « production et consommation de masse », productivisme et économies d’échelle, rapport spécifique à l’espace local et international… Mais le mode de production industriel semble s’être tellement diversifié, massifié et diffusé qu’il devient indispensable de situer chaque analyse dans l’une des différentes « branches »[1] que l’on distingue désormais : industries de « biens de consommation », de « biens intermédiaires » ou encore de « biens d’équipement », industries extractives, manufacturières, production d’énergies, gestion de l’eau, gestion des déchets, construction… Les distinctions s’observent par ailleurs à travers les différents types de développements industriels selon les stratégies qu’ont eues les pays au XXe siècle. Le processus de désindustrialisation, par exemple, qui semble avoir principalement touché l’Europe et l’Amérique du Nord à partir des années 1970, apparaît désormais comme réversible : les innovations technologiques (notamment l’intelligence artificielle) ainsi que la crise sanitaire du Covid semblent en effet provoquer un appel à la « relocalisation » de certaines activités.

Au terme d’un long article introductif, le dossier est divisé en quatre parties contenant chacune environ une demi-douzaine de textes d’une page, accompagnés d’une page d’illustrations diverses. Les auteurs commencent ainsi par expliquer que la « dynamique économique » globale a été fortement portée par un processus de mondialisation depuis quelques décennies. Celui-ci a engendré de nouveaux genres de crises : économiques, avec les délocalisations principalement, mais aussi financières, comme celle de 2008 l’a tristement illustré. Cette dernière pourrait même être le point de départ d’un phénomène de « démondialisation » progressive, d’après les auteurs. Cette mondialisation a également eu pour corollaire une « décomposition internationale du processus productif (DIPP) », c’est-à-dire une fragmentation de la production en différentes étapes et différents sites internationaux selon les intérêts des entreprises. Mais, à mesure que les enjeux écologiques deviennent plus pressants, et surtout après les pénuries de produits sanitaires de 2020 (masques, gels hydro-alcooliques…), un consensus semble émerger sur l’urgence de la relocalisation et le « raccourcissement des circuits d’approvisionnement », qui pourrait engendrer des modifications du système industriel.

Cette mutation pourrait également s’opérer par l’innovation dans la production. Les enjeux écologiques, d’une part, deviennent « des marchés prometteurs » (p. 30), comme l’observent les auteurs, pointant les investissements importants en « Recherche & Développement » que ceux-ci suscitent. Les enjeux technologiques, d’autre part, qui convergent vers une « révolution 4.0 » à mesure que l’intelligence artificielle, les outils numériques et autres robots se perfectionnent et se diffusent. La question du grand remplacement des emplois humains par les machines-outils se pose donc à nouveaux frais… Dans ces évolutions, les États peuvent avoir différents types d’interventions pour soutenir une potentielle « réindustrialisation », comme l’enseigne la comparaison entre le cas français et ceux d’autres pays.

Pour qui croit en l’intérêt de ce processus de réindustrialisation, il peut dès lors être important d’essayer de saisir les reconfigurations des « espaces productifs » et les facteurs – pas toujours très rationnels – de la « localisation industrielle ». On observe ainsi une « métropolisation » de certaines activités industrielles nécessitant une main d’œuvre qualifiée et, en parallèle, l’émergence de « districts industriels » où s’implantent différents établissements interdépendants, ce que dans certaines branches d’activité on appelle des clusters. La dernière partie de la revue présente quelques enjeux notables ayant trait à certaines branches : industrie lourde, industrie automobile, industrie aéronautique, industrie pharmaceutique et industrie du textile-habillement.

Au final, les étudiant·es, enseignant·es et personnes souhaitant s’informer de l’actualité des principales thématiques de la géographie industrielle, et de certains aspects saillants de la mondialisation, trouveront ici un objet certainement approprié, par son approche synthétique et généraliste, alimentée par de nombreuses illustrations, à condition cependant d’entendre une mise en garde. En effet, si le point fort de ce numéro est son regard très actuel, intégrant de nombreux constats et hypothèses quant à l’impact de la crise sanitaire sur « l’industrie-monde », en revanche, on pourrait regretter, voire critiquer son manque de neutralité à propos du phénomène industriel. En effet, le désastre écologique que représentent de nombreuses activités industrielles n’est que suggéré dans ce numéro, quand il n’est nulle part fait mention de leurs méfaits sociaux, économiques, psychiques, culturels et autres, pourtant pointés par quantité d’acteurs et actrices depuis le XIXe siècle. Réindustrialiser nos contrées, adapter la main d’œuvre aux mutations technologiques, poursuivre la croissance économique par le développement industriel… sont-ce bien des solutions nouvelles, des solutions tenables ? Ce numéro ne discute que peu ou pas ces points, plutôt admis comme des postulats.

Notes de bas de page :

[1] Notion qui fait directement écho à celle de branche professionnelle, dont le sociologue Claude Didry étudie la constitution au XXe siècle dans le droit du travail. Voir Claude Didry, L’Institution du travail. Droit et salariat dans l’histoire, Paris, La Dispute, coll. « Travail et salariat », 2016 ; notre compte rendu pour Lectures :

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