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Le droit peut-il favoriser le bien-être des personnes en situation de handicap ?

Autres thèmes Psy, soins, santé Travail social

26 Mar 2022

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Couverture du livre de Ngo "handicap droit et bien être"

Note de lecture de : 

Mai-Anh NgoHandicap, droit et bien-être. Accessibilité, compensation, capabilité, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, UGA Éditions, coll. « Actualité des savoirs », 2020, 96 p.

Note diffusée sur le site Lectures

Le site de l’éditeur UGA édition

Mai-Anh Ngo est docteure en droit privé et ingénieure de recherche en droit du handicap et du sport notamment[1]. Nommée chevalier de l’Ordre national du Mérite en 2019 pour ses engagements dans le champ du handicap, Ngo, qui a été nageuse de haut niveau handisport, précise que, se déplaçant en fauteuil roulant, elle est elle-même sujet et objet du livre qu’elle signe aujourd’hui. Court et accessible, celui-ci cherche à pointer certaines marges de progression dans la contribution du droit au bien-être des personnes en situation de handicap.

Plus précisément, l’autrice y examine comment des mesures juridiques peuvent contribuer à l’exercice des « droits fondamentaux » et des « libertés fondamentales » des personnes, et leur conférer ainsi un « pouvoir d’agir » ainsi qu’un « sentiment d’autonomie, de compétence et de proximité sociale » (p. 11), constitutifs du bien-être. Pour ce faire, l’autrice étudie quatre grands principes juridiques et philosophiques susceptibles de guider les législateurs, à travers quatre chapitres dédiés.

Dans un premier chapitre, Ngo pointe les limites de l’idée d’égalité des droits entre les personnes. En effet, en pratique, de nombreux droits d’accès sont difficiles, voire impossibles à mettre en œuvre, notamment les droits d’aller et venir : « l’égalité des droits méconnaît la situation concrète et la particularité de chaque individu. L’égalité des droits conduit en réalité à une inégalité de fait » (p. 21). Plus précisément, il y a inégalité dans la mesure où l’impossibilité d’accès physique a des conséquences considérables sur l’accès aux soins, au logement, à l’emploi, ou encore à la formation. En somme, « il n’est pas possible de considérer que le simple fait de déclarer un égal accès aux droits permette en réalité un exercice effectif » (p. 25).

Dans un deuxième chapitre, l’autrice rappelle que face à ces constats, qui sont débattus depuis longtemps, a émergé le principe d’accessibilité, qui s’est constitué en « pierre angulaire du bien-être » des personnes en situation de handicap. Ce principe est reconnu par les législations européennes, mais également en France, notamment depuis la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Bien que ce principe reste difficile à mettre en application en tous lieux, l’existence de textes règlementaires lui confère une certaine effectivité, car elle permet à toutes les personnes de « se prévaloir des différentes dispositions en justice », considère l’autrice, qui précise : « [qu’]à l’heure actuelle, la difficulté réside dans le fait que relativement peu de personnes en situation de handicap choisissent de faire valoir leurs droits » (p. 39). Par ailleurs, à travers la conception universelle de l’accessibilité qui revient à vouloir faire en sorte que toute chose soit accessible à toutes et tous, le principe d’accessibilité devient selon elle source d’inclusion et cesse d’être une norme contraignante.

Dans un troisième chapitre, Ngo interroge un autre principe énoncé par la fameuse loi de février 2005 : la compensation. Ce principe apparaît à l’autrice comme très intéressant, car les diverses formes d’aide concrètes et individuelles qu’il permet ont vocation à être adaptées au « projet de vie » de chacun et chacune : aides humaines, aides financières, aides techniques… Cependant, précise Ngo, ce principe se heurte lui aussi à des réalités qui l’empêchent d’être pleinement efficient. Les manques de budget ou de moyens humains sont une première barrière incontournable, à laquelle s’ajoutent les disparités de traitement des situations d’un conseil départemental à l’autre. De ce fait, il peut arriver que « le droit à la compensation crée de la frustration car le principe énoncé est la compensation des effets liés au handicap et le résultat lui est loin de l’objectif affiché » (p. 65).

Au vu des failles que présentent les différents principes discutés dans les précédents chapitres, Ngo souhaite, dans le quatrième et dernier chapitre, mettre en lumière un autre principe encore peu mobilisé dans le droit français : la capabilité. Renvoyant aux travaux de l’économiste Amartya Sen sur la justice sociale[2], l’autrice estime que l’intérêt de ce concept est qu’il est davantage attentif aux « possibilités effectives » des individus. En effet, pour Ngo, avec le principe de capabilité, il s’agit de considérer les possibilités d’action réelles des personnes en situation de handicap, car « ce n’est pas la liberté définie a priori qui a un impact sur [leurs] conditions de vie » (p. 72). Afin d’illustrer cette proposition, l’autrice présente alors de multiples exemples, ayant trait aux champs scolaire et sportif, à la parentalité, ou encore à la pairémulation[3], montrant ainsi que l’on peut déjà observer, de fait, certaines applications du principe de capabilité.

En conclusion, l’autrice rappelle que malgré certaines limites, le droit reste un domaine d’action important, dans la mesure où il positionne les personnes en tant que sujets détenteurs d’un « pouvoir d’agir ». Ainsi qu’elle le met en avant, en intervenant à une échelle systémique, le droit peut façonner l’environnement et les comportements. Dès lors, « il ne s’agit plus d’agir avec des leviers spécifiques au handicap, mais au contraire d’intégrer la question du handicap comme une des données à prendre en considération parmi d’autres dans la diversité humaine » (p. 88-89). Si l’on peut douter, comme le fait l’autrice elle-même, de l’efficacité de la proclamation de droits inapplicables ou de concepts abstraits, on peut aussi la rejoindre dans l’idée que c’est en influençant directement les pratiques que le droit se montre le plus influent dans la vie quotidienne des gens. Reste à imaginer, comme Ngo semble le préférer dans ce petit ouvrage de synthèse, des mesures et des dispositifs qui ne soient pas (que) punitifs et contraignants, mais donnent aux personnes concernées de réelles possibilités d’exprimer leurs potentialités et d’être reconnues telles quelles.

Présentation du livre par l’autrice :

Notes de bas de page :

[1] Voir sa page sur le site de l’université Côte d’Azur : https://univ-cotedazur.fr/annuaire/mai-anh-ngo-1.

[2] Notamment Sen Amartya, Éthique et économie. Et autres essais (traduit de l’anglais par Sophie Marnat), Paris, PUF, 2012 [1987].

[3] D’après Jean-Pierre Ringler, ce concept renvoie à « l’apprentissage mutuel entre les personnes en situation de handicap » (voir Ringler Jean-Pierre, « De l’intégration sociale à la vie autonome », in Gardien Ève (dir.), Des innovations sociales par et pour les personnes en situation de handicap, Toulouse, Érès, 2012, p. 36).

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