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Histoire du travail social en France depuis le XIXème : synthèse

Histoire Travail social

30 Sep 2014

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Couverture du livre "Histoire du travail social"

Note de lecture :

Henri Pascal, Histoire du travail social. De la fin du XIXe siècle à nos jours, Rennes, Presses de l’EHESP, coll. « Politiques et interventions sociales », 2014, 316 p.

Disponible sur le site Lectures

L’ouvrage se présente comme « volontairement synthétique », adressé aux étudiants et professionnels, ainsi qu’à tous ceux qui sont intéressés par l’histoire du travail social. L’auteur, sociologue et formateur en travail social, reprend ici des recherches menées depuis au moins une trentaine d’années sur le sujet. Plus spécifiquement, il place au cœur de son livre la construction progressive des professions et grandes institutions qui font le travail social actuel, analysées sous l’angle des discours publics, des dispositifs réglementaires et des actions menées par quelques personnalités historiques.

Dans la forme, l’ouvrage est donc assez complet tout en restant très accessible aux lecteurs peu rompus aux travaux universitaires ; il fourmille de détails et ne se perd pas en généralités (ce qui peut être le risque d’un texte prenant une approche globale). 

Sur le fond, Henri Pascal adopte un schéma relativement souple, répété pour chacun des cinq chapitres qui, dans l’ordre chronologique, délimitent des périodes historiques : fin du XIXe siècle, guerres mondiales, après seconde guerre mondiale, Trente glorieuses, et des années 1980 à l’époque actuelle. Ainsi, après avoir présenté de précieuses données relatives aux contextes politique, économique et social national (voire international) de chaque période, l’auteur considère successivement les objets de l’intervention (enfance, famille, logement…), les champs de réflexion (institutions, formations, législations…) ou les professions, pour étudier leur évolution d’une période (d’un chapitre) à l’autre. Ce schéma permet d’apprécier les continuités et les ruptures dans ce long cheminement.

Ainsi, le premier chapitre montre que déjà, avant 1913, des acteurs nombreux amènent, malgré une absence relative de coordination, un dépassement des anciennes formes de charité et de philanthropie, et cherchent à intervenir plus précisément dans le champ de la famille, du logement, de la santé[1], et de la protection de l’enfance. De ces divers points d’appui émergeront les centres sociaux, implantés dans les quartiers ouvriers, les assistantes sociales, les dispensaires, les garderies et jardins d’enfants[2], les législations sur l’enfance en danger… Ces premières initiatives ne rompent pas totalement avec les « sources idéologiques » religieuses, et doivent beaucoup au christianisme social, mais aussi au solidarisme de Léon Bourgeois et au « champ réformateur » qui occupe une partie du paysage politique de la IIIe République. Ces précurseurs voulant surtout préserver la « paix sociale » et la « collaboration de classes », des écoles parisiennes de travail social [3] apparaissent dès les années 1900, au moment où émerge une volonté de « rationalisation » du savoir sur les classes populaires et la pauvreté ; c’est sans doute ce qui permet à certains de ces acteurs d’employer l’expression « le champ du travail social » dès avant la première guerre mondiale.

Cette volonté de rationalisation du savoir se développe durant l’entre-deux-guerres par l’entremise du phénomène d’internationalisation de la vie intellectuelle et politique : certains acteurs importent des États-Unis le « social case-work » qui a longuement imprégné les pratiques des assistants de service social ; des conférences et mouvements internationaux de travail social se développent, de même que la formation est réglementée, des diplômes mis en place, et de nouveaux champs se structurent (notamment l’Éducation surveillée, qui fait partie des « prémices » de l’éducation spécialisée, ou encore les surintendantes d’usine et autres services sociaux en entreprise). Des méthodologies, des institutions sanitaires et sociales ainsi que des organisations professionnelles se développent, alors qu’apparaissent déjà les premières tensions internes – par exemple, entre laïques et chrétiens, entre médecins et assistantes sociales, entre soin et prévention, entre public et privé, entre professionnels et bénévoles…

Au cours du troisième chapitre, on s’aperçoit que l’action sociale qui se développe après 1945 doit beaucoup à ce qui a été mené durant le régime de Vichy : le pouvoir autoritaire devant faire face à des situations de crise a fortement institutionnalisé le secteur du travail social, en axant ses efforts sur la famille et l’enfance. Période étonnante durant laquelle les travailleurs sociaux ont dû apprendre à questionner la légitimité des lois et, pour bon nombre d’entre eux, entrer dans la clandestinité, au péril de leur vie, donnant une singulière et très actuelle leçon de résistance aux professionnels de ce champ. Après 1945, certaines institutions et législations en matière d’action sociale perdurent telles quelles, d’autres sont revues, certaines disparaissent. Après un bref consensus, les tensions entre modernistes et conservateurs – qui recoupent les tensions entre laïques et religieux – reprennent, sans entraver le développement quantitatif et réglementaire des professions, organisations professionnelles, institutions et formations professionnelles : « l’action sociale, telle qu’elle se développera dans les années suivantes, trouve l’essentiel de ses fondations dans les années 1940 », observe l’auteur (p. 168).

Après la Seconde Guerre Mondiale s’étend une période de reconstruction puis de croissance qui, comme l’a abondamment illustré la littérature, est très féconde pour le travail social[4]. Les services sociaux et les centres sociaux se développent et voient leurs missions se préciser considérablement ; le champ de l’enfance se divise en spécialités : « enfance inadaptée », « enfance délinquante », « enfance en danger », et l’éducation en milieu ouvert se structure[5]. En même temps, la théorisation des pratiques et des méthodes est largement développée, sous l’influence de financements importants et de proximités avec le monde universitaire et les sciences humaines (à commencer par l’analyse systémique, la psychanalyse, l’Éducation nouvelle…). Suite à cet important travail théorique et réflexif, et du fait du contexte favorable, de nombreux diplômes sont officiellement reconnus ou réformés, notamment dans les années 1970 ; le nombre de diplômés du travail social double en une décennie, les professions se structurent… Une certaine prise de conscience s’opère avant et surtout après Mai-68 quant à la place du travail social dans la société et à l’éventuelle proximité du professionnel et du militant, et, dès les années 1960-1970, on questionne l’action sociale collective, le travailleur social « polyvalent », « l’approche globale »…

Après les Trente glorieuses, une pauvreté structurelle et un chômage de masse commencent à apparaître, face auxquels le travail social et les politiques sociales se reconfigurent difficilement, les travailleurs sociaux devenant « les pompiers du social » (p. 251). La décentralisation et « l’appel aux associations » amènent de nouveaux enjeux institutionnels, à commencer par un « changement des modèles de gestion » (p. 247)[6]. De nouvelles pratiques et de nouveaux métiers se mettent en place dans les champs du développement social, de l’insertion, du travail associatif, de la politique de la ville ; des emplois peu qualifiés, des contrats aidés ou des postes issus du secteur marchand contribuent de façon importante à l’augmentation quantitative des emplois du social. Dans un contexte économique et politique difficile, tout ceci modifie profondément les schémas de l’intervention sociale, si bien que les travailleurs sociaux expriment parfois leur mécontentement : l’auteur rappelle à ce titre la longue mobilisation des assistants de service social entre 1990 et 1992, ainsi que d’autres mobilisations ponctuelles. Durant cette période, néanmoins, les formations évoluent à nouveau et la recherche sur le travail social se développe fortement, prenant parmi ses principaux objets le questionnement éthique.

Dans la conclusion de son ouvrage, l’auteur insiste sur trois phénomènes majeurs qui traversent l’histoire du travail social : le lien entre l’histoire de ce champ et l’histoire de la condition féminine (et notamment de ses rapports au salariat et à l’émancipation domestique) ; le rapport des travailleurs sociaux au pouvoir politique et à sa contestation (très prégnante dans les années 1960) ; la remise en question du lien entre légalité et légitimité de la loi, qui s’est continuellement posée depuis la seconde guerre mondiale.

Avec pour idée centrale que « les évènements du passé, la manière dont les travailleurs sociaux ont agi dans différents contextes historiques permettent de se poser des questions d’aujourd’hui » (p. 288), l’ouvrage témoigne d’une louable volonté d’exhaustivité, dans une forme synthétique. Cette volonté peut être une tare lorsque le propos se fait très descriptif, mais elle peut aussi être un bienfait et témoigne d’un effort important pour rassembler une grande somme de données et de recherches. L’ouvrage permet ainsi, avec une relative simplicité, de retracer la « généalogie » du champ actuel, tout en faisant apercevoir l’inventivité et les difficultés de ceux qui ont contribué à édifier le travail social actuel.

NOTES

[1] L’auteur montre que, longtemps, les infirmières visiteuses ont mené une action très proche de celle des premières assistantes sociales et travailleuses familiales, ce dès l’aube du XXe siècle.

[2] Inspirés des idées du pédagogue allemand Friedrich Fröbel.

[3] Une des toutes premières écoles, fondée à Paris en 1900 et formant des infirmières visiteuses longtemps avant la mise en place du diplôme, a déménagé à Montrouge en 1932 et n’est autre que l’actuel IRTS de Montrouge.

[4] Autès Michel, Les paradoxes du travail social, Paris, Dunod, 1999. Castel Robert, « Devenir de l’État providence et travail social », in Jacques Ion, Travail social en débat[s] (dir.), Paris, La Découverte, 2005, p. 27-49.

[5] Notamment la « prévention spécialisée » ; voir Louli Jonathan, « Sur quelques acceptions de la mise en ordre de soi-même », in Implications Philosophiques, 14 juillet 2014

[6] Phénomènes globaux étudiés notamment par Michel Chauvière, pour ne citer que lui : Chauvière Michel, « Les référentiels, vague, vogue et galères », Vie sociale, n° 2006/2, p. 21-32. Chauvière Michel, « Qu’est-ce que la “chalandisation” ? », Informations Sociales, n° 152, 2009, p. 128-134. Chauvière Michel, « Quel est le « social » de la décentralisation ? », Informations Sociales, n° 162, 2010, p. 22-31.

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